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Je n’ignore pas que, selon les conventions romanesques, j’aurais dû rédiger un portrait de ma mère dans ses moments de mélancolie dépressive comme je devrais, ici, en dresser un de cette jeune fille à laquelle je faisais envoyer un billet par ma jeune sœur (message que dans la littérature sentimentale du dix neuvième siècle on aurait appelé un « poulet ») comme, par exemple ceci : « si le souvenir des traits de cette jeune adolescente dont j’ai depuis oublié le nom, ont, lentement, été altérés par le temps et si j’ai quelque mal à les évoquer aujourd’hui, je me souviens seulement qu’alors elle me paraissait belle, que son visage avait une rondeur douce proche de celle de la madone à l’œillet de Léonard de Vinci, douceur cependant démentie par la fermeté presque violente du regard de ses yeux très noirs. J’ai en effet toujours été attiré par les visages, beaucoup plus que par une esthétique plus générale des corps et je peux affirmer que, si dans ma vie, je suis tombé plusieurs fois amoureux c’est d’eux que je l’étais. Les visages, comme celui du jeune Tadzio dans Mort à Venise de Luchino Visconti ou celui de la vierge d’humilité de Filippo Lippi me causent, en effet, de violents sentiments érotiques. Peut-être est-ce d’ailleurs pour cela que le sexe m’importe peu et que, s’il faut m’appliquer une étiquette, je me suis toujours considéré comme bisexuel. D’elle je ne sais plus rien d’autre. Il me semble qu’elle était brune, qu’elle avait des cheveux mi-longs, très noirs mais, je n’en suis pas sûr et il se pourrait bien que l’image que j’en donne ici soit en fait celle, composite, de plusieurs des jeunes filles que j’ai été amenées à croiser dans ma vie. »
De même, je devrais, à mes réflexions personnelles, mêler, pour rendre cette autobiographie plus vivante, ici ou là, quelques dialogues. Mais ma mémoire n’est pas assez forte pour être sûr de ce que je rapporterais et de ne pas les inventer uniquement pour respecter quelques règles d’écriture implicites. Les lieux communs, comme les banalités, sont vrais parce que ce sont des banalités et des lieux communs. Les souvenirs ne mentent pas seulement si nous sommes capables de réécrire ceux qui se sont effacés. Les souvenir de mes actes, leurs échos sont de plus en plus vagues, édulcorés, et si je demande à ma mémoire un effort, pour creuser dans d’autres strates du passé, sortent, comme d’un viel album fatigué d’usages, des images jadis colorées mais que le temps a délavées les rendant presque invisibles
Tant d’événements sont passés, disparus à jamais, tant de moments que je pensais inoubliables mais dont il ne me reste rien alors que d’autres, apparemment sans importance m’ont marqué à jamais. Mais, poursuivons…
Le lendemain du jour où j’avais fait remettre mon sonnet maladroitement amoureux, je trouvais, attaché à la selle de mon vélo la réponse de la jeune fille. Très brève, elle disait simplement : « pas avec toi ». Ces trois mots ordinaires dans leur brutalité franche m’ont poursuivi toute ma vie. Si elle m’avait simplement répondu non, je pense que je n’aurais pas été troublé mais ce « pas avec toi » avait quelque chose d’intriguant dont je cherche toujours la solution. Qu’est-ce que ma personne avait de si particulier pour qu’elle m’exclue de tous les autres possibles : étais-je trop jeune, était-elle au courant de mes quelques aventures avec d’autres garçons, étais-je trop laid, mes réussites scolaires constituaient-elles un obstacle, le fait que mon père soit directeur d’école, que j’avais passé toute mon enfance à la campagne, que ma mère était dépressive ? Bref que savait-elle de moi, que lui avait-on dit qui m’excluait du cercle de ses fréquentations possibles. Aujourd’hui encore cette question me poursuit et je n’ai jamais réussi à trouver sa réponse.
De même, je devrais, à mes réflexions personnelles, mêler, pour rendre cette autobiographie plus vivante, ici ou là, quelques dialogues. Mais ma mémoire n’est pas assez forte pour être sûr de ce que je rapporterais et de ne pas les inventer uniquement pour respecter quelques règles d’écriture implicites. Les lieux communs, comme les banalités, sont vrais parce que ce sont des banalités et des lieux communs. Les souvenirs ne mentent pas seulement si nous sommes capables de réécrire ceux qui se sont effacés. Les souvenir de mes actes, leurs échos sont de plus en plus vagues, édulcorés, et si je demande à ma mémoire un effort, pour creuser dans d’autres strates du passé, sortent, comme d’un viel album fatigué d’usages, des images jadis colorées mais que le temps a délavées les rendant presque invisibles
Tant d’événements sont passés, disparus à jamais, tant de moments que je pensais inoubliables mais dont il ne me reste rien alors que d’autres, apparemment sans importance m’ont marqué à jamais. Mais, poursuivons…
Le lendemain du jour où j’avais fait remettre mon sonnet maladroitement amoureux, je trouvais, attaché à la selle de mon vélo la réponse de la jeune fille. Très brève, elle disait simplement : « pas avec toi ». Ces trois mots ordinaires dans leur brutalité franche m’ont poursuivi toute ma vie. Si elle m’avait simplement répondu non, je pense que je n’aurais pas été troublé mais ce « pas avec toi » avait quelque chose d’intriguant dont je cherche toujours la solution. Qu’est-ce que ma personne avait de si particulier pour qu’elle m’exclue de tous les autres possibles : étais-je trop jeune, était-elle au courant de mes quelques aventures avec d’autres garçons, étais-je trop laid, mes réussites scolaires constituaient-elles un obstacle, le fait que mon père soit directeur d’école, que j’avais passé toute mon enfance à la campagne, que ma mère était dépressive ? Bref que savait-elle de moi, que lui avait-on dit qui m’excluait du cercle de ses fréquentations possibles. Aujourd’hui encore cette question me poursuit et je n’ai jamais réussi à trouver sa réponse.
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