dimanche 22 octobre 2023

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Il y avait certainement un peu de la posture romantique de l’adolescence dans ce journal même s’il n’en est pas moins vrai que l’idée que je me faisais alors de l’écriture m’enfermait dans une réelle solitude. Mais à quoi bon parler de ce que tout le monde connaît, l’adolescence est une période que tous les garçons, perturbés par leurs hormones sexuelles, ont vécu plus ou moins difficilement. Mes camarades de jeux érotiques s’étaient peu à peu tourné vers les filles et, beaucoup trop jeune pour celles de ma classe, ne me restait guère que leurs moqueries bêtasses et la masturbation. À quinze ans j’étais vierge et même si je sais maintenant que cette règle est assez générale, j’étais persuadé en écoutant les rodomontades de mes condisciples — il est vrai âgé de deux ou trois ans de plus — que c’était une exception qui me confirmait encore dans ma solitude ne comprenant pas vraiment pour quoi les adolescentes qui m’entouraient ne s’intéressaient pas à moi. J’avais parfois le sentiment de décoller du réel, de m’égarer dans la fiction. Je ne le savais pas encore mais d’une façon ou d’une autre, nous sommes tous des mendiants, d’affection, d’amour, de reconnaissance, de célébrité, de vérité. J’entamais alors un roman, dont j’ai aujourd’hui perdu le manuscrit, dont le titre était quelque chose comme « le saut de l’ange » et qui tentait de communiquer ce désarroi à travers l’histoire d’un adolescent dont les longues errances solitaires dans les forêts et les falaises des bords des causses le conduisaient au suicide. Je n’avais pas encore compris que d’une part ce sujet n’était pas très original mais que de plus, ce qui faisait l’intérêt d’un roman n’était pas le récit qu’il portait mais la façon dont il le rapportait et que toutes les si banales et fréquentes histoire d’amour de la littérature ne valent que par leur style et les multiples détails qui, en transformant les trames, leur confère leur originalité.
Pourtant, un événement inattendu marqua cette année 1939 : pour la première fois de ma vie j’assistais à une opérette : Rose-Marie. Bien que ce ne soit qu’une petite troupe de théâtre qui, pour une raison inconnu décida de jouer dans la salle paroissiale de la ville, ce fut pour moi un éblouissement. Une ouverture inattendue sur le monde de la création. Il faut dire que mis à part le passage annuel d’un cirque — Pinder ou Amar, je ne me souviens plus — rien ne se produisait jamais dans ma petite ville où les événements principaux étaient les processions de la fête dieu et l’été, depuis quatre ans, le tour de ville cycliste. Je n’ai jamais oublié les paroles de la chanson titre et « ses fleurs de la prairieeeeee », je découvrais alors qu’il y avait un autre monde que celui du livre dans lequel il était possible de s’exprimer. Je ne connaissais en effet du théâtre que ses textes et j’ignorais tout de l’opérette sans parler de l’opéra qui ne relevait pour moi que de l’effet littéraire : les aristocrates allant, dans les livres, à l’opéra… Tout cet univers m’apparaissait soudain comme réel et non plus fictionnel. Je ne connaissais non plus rien de la musique, ou si peu, mon seul contact avec elle se faisant à travers les disques de variété que mon père accumulait. « Félicie aussi » de Fernandel et « Ça fait d’excellents français » de Maurice Chevalier faisant partie de ses dernières acquisitions. Je décidai de me renseigner mais le 1 septembre 1939, mon père et moi nous entendîmes pour la première fois à la radio sur le poste Perron Téléson qu’il venait tout juste d’acheter la voix d’un nommé Adolphe Hitler et j’ignorais alors que cet événement allait changer ma vie.

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