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Entièrement absorbés par nos observations et relevés de traces d’animaux dans la neige, discutant avec force entre nous pour déterminer s’il s’agissait de tel ou tel animal, nous ne nous étions pas aperçus que le temps, insensiblement, avait changé. Des masses nuageuses étaient venus de l’ouest couvrant peu à peu le soleil et transformant le ciel en une masse blanchâtre aussi compacte que la neige du sol puis, lentement, un petit vent s’était levé emportant quelques cristaux de neige et lorsque nous avons levé la tête pensant qu’il était temps de rentrer, le vent était soudain devenu plus fort. Nous avons alors compris trop tard que commençait une tourmente. Nous connaissions tous ce phénomène qui faisait l’objet de nombreuses conversations le soir aux veillées. Nous savions son danger théorique et nous avions tremblé aux récits de voyageurs surpris et morts de froid à quelques centaines de mètre d’un village. L’histoire la plus récente était celle du facteur mort de froid dans la hutte de branchages qu’il s’était confectionné à la hâte
Sur le plateau, la tourmente est en effet sauvage. Un vent furieux souffle, siffle, soulève avec rage des masses de neige auxquelles, dans toute l’indéfinition de l’espace, il fait tourner des valses diaboliques. Soudain nous avancions avec peine. La visibilité était devenue nulle… Presque… Nous nous étions laissés surprendre. Malgré notre connaissance des causses, notre habitude du climat, nous n’avions pas prévu que le temps pouvait changer très vite et le vent brusquement apparaître, avec une telle puissance. Nous n’étions pas allés loin de chez nous. Trois kilomètres, quatre tout au plus… Mais dans les gouffres du torrent de neige qui commençait à dévorer l’espace plan du plateau, nous étions comme emportés, traînés d’un arbre à l’autre, d’un rocher à un rocher semblable, d’une illusion à l’autre. Nous étions perdus dans un espace pourtant familier… Pour ne pas être séparés, nous nous somme attachés l’un à l’autre par nos foulards et avons avancé, avec peine dans ce qui nous semblait être la bonne direction cherchant le moindre indice pour notre chemin… De temps en temps, une main gantée de mitaines rencontrait un arbre, nos pieds butaient sur un muret effondré de pierres sèches, une amorce de chemin dans la neige, nous rappelait vaguement quelque chose. Mais nous n’avions aucune certitude. Visages fermé dans nos cols raidis de froid, la neige, fondue par nos haleines puis gelée en surface par le vent, les yeux plissés, à peine visibles sous les visières cartonnées de nos passe-montagne de laine, faible protection contre les flocons gelés qui, excités par le vent comme autant d’insectes furieux, pénétrait par la fente de notre coiffure nous brûlant les yeux, pas à pas, avec difficultés, nous avancions, à la recherche d’un repère fiable. Nous avons ainsi tâtonnés pendant un temps qui nous sembla infini. La fatigue nous gagnait mais nous savions ne pas avoir pas le droit de nous asseoir pour nous reposer, nous savions que si nous nous arrêtions de bouger l’assoupissement confortable du froid nous guettait et que, comme tant d’autres, nous risquions de ne jamais nous réveiller.
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