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Ce matin c'est avec le "Manuel" d'Epitecte" que je suis lentement revenu au jour mon corps demandant de plus en plus de temps pour s'éveiller alors que mon esprit me semble plus prompt: "Que la mort, l’exil et tout ce qui semble redoutable soient présents à tes yeux tous les jours ; la mort surtout, et jamais tu n’auras de pensées lâches, ni de désirs immodérés." N'est-ce pas en effet une attitude sage à observer… mais bien théorique. Il vient un temps dans l’existence où, si l’on ne veut pas que la mort soit le seul horizon, ne reste que le passé comme avenir et sa mémoire. Regarder en arrière est alors la seule façon d’aller de l’avant, je marche comme une écrevisse. Ma mémoire ressemble à celle des disques durs d’ordinateur où s’effacent sans cesse des événements mais dont il est toujours possible de retrouver quelques fragments, où sans cesse s’inscrivent d’autres faits, d’autres paroles. Je suis encombré de numéros de téléphone inutiles, de numéros de codes de portes d’entrée, d’adresses, de listes de provisions, de miettes de citations plus ou moins justes. Au milieu de tout ça, je ne parviens pas à me souvenir avec précision de la nuance exacte de la couleur des yeux de mes camarades d’école, de leur façon de sourire, de la tonalité de leurs voix et navigue au milieu d’approximations exaspérantes.
Mais comment, par exemple, oublier ces chansons sentimentales, parfois jusqu’à l’écœurement, qui, dès mon berceau, ont nourri et, sans aucun doute, influencé celui que je suis encore ? De temps en temps, à l’improviste, lorsque mon cerveau fatigué ou inattentif se perd dans une rêverie tranquille et improductive, un vers, une ligne musicale s’installe en lui comme un squatter et l’occupe des heures durant, revenant sans cesse sur des mots et des notes « et dans les soirs de rêverie s’en va vers mon cœur attristé… » ou « un poète ayant fait un voyage extraordinaire m’a dit… ». Je ne sais plus le titre de la chanson, le nom de son auteur, celui de l’interprète, mais ces mots sont restés en moi à jamais. Ils tournent dans mon crâne d’où j’ai le plus grand mal à les chasser car si, dans un premier temps, ce sont des souvenirs agréables, l’obsession que provoque leur répétition devient vite lourde à supporter. Je souhaiterais alors n’avoir plus de mémoire. Pourtant, le plus souvent leur venue provoque des images, un visage — celui de mon père, le plus souvent de ma mère —, un décor — l’appartement d’école à La Roche, puis le salon de la petite maison de Mende, un sourire d’Andrée, ma sœur cadette qui chante avec l’un de nous, un rayon de soleil par une fenêtre, l’odeur de la tarte à la rhubarbe ou au citron que ma mère faisait si bien… Il faut toujours penser aux morts au risque de la nostalgie, car ce n’est que par nous qu’ils se perpétuent. Pourtant, quand je retrouve une photo de jeunesse, je me regarde dans un miroir, je ne me reconnais pas et tant de visages m’échappent ou prennent dans ma mémoire une forme que je ne retrouve pas. Plaisir et déplaisir. Comme toujours dans l’existence chaque fait a deux facettes, une blanche, une noire qui se révèlent à leur gré. De plus en plus, ma vie est ainsi, de plus en plus difficilement, occupée à essayer de maintenir vive, en moi, la mémoire de tous ceux que j’ai connus, aimés, qui ont fait de moi ce que j’étais avant d’en venir à ce prolongement sans fin. Vivre, vivre, vivre… Sans autre but réel.
Mais comment, par exemple, oublier ces chansons sentimentales, parfois jusqu’à l’écœurement, qui, dès mon berceau, ont nourri et, sans aucun doute, influencé celui que je suis encore ? De temps en temps, à l’improviste, lorsque mon cerveau fatigué ou inattentif se perd dans une rêverie tranquille et improductive, un vers, une ligne musicale s’installe en lui comme un squatter et l’occupe des heures durant, revenant sans cesse sur des mots et des notes « et dans les soirs de rêverie s’en va vers mon cœur attristé… » ou « un poète ayant fait un voyage extraordinaire m’a dit… ». Je ne sais plus le titre de la chanson, le nom de son auteur, celui de l’interprète, mais ces mots sont restés en moi à jamais. Ils tournent dans mon crâne d’où j’ai le plus grand mal à les chasser car si, dans un premier temps, ce sont des souvenirs agréables, l’obsession que provoque leur répétition devient vite lourde à supporter. Je souhaiterais alors n’avoir plus de mémoire. Pourtant, le plus souvent leur venue provoque des images, un visage — celui de mon père, le plus souvent de ma mère —, un décor — l’appartement d’école à La Roche, puis le salon de la petite maison de Mende, un sourire d’Andrée, ma sœur cadette qui chante avec l’un de nous, un rayon de soleil par une fenêtre, l’odeur de la tarte à la rhubarbe ou au citron que ma mère faisait si bien… Il faut toujours penser aux morts au risque de la nostalgie, car ce n’est que par nous qu’ils se perpétuent. Pourtant, quand je retrouve une photo de jeunesse, je me regarde dans un miroir, je ne me reconnais pas et tant de visages m’échappent ou prennent dans ma mémoire une forme que je ne retrouve pas. Plaisir et déplaisir. Comme toujours dans l’existence chaque fait a deux facettes, une blanche, une noire qui se révèlent à leur gré. De plus en plus, ma vie est ainsi, de plus en plus difficilement, occupée à essayer de maintenir vive, en moi, la mémoire de tous ceux que j’ai connus, aimés, qui ont fait de moi ce que j’étais avant d’en venir à ce prolongement sans fin. Vivre, vivre, vivre… Sans autre but réel.
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