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Il fait chaud, trop chaud d'un seul coup, décidément le temps n'est pas avec moi. Journée sans… trop chaud. Il paraît que les vieux comme moi doivent s'enfermer à l'ombre et boire… boire… boire des litres d'eau. Ça fait chier. En plus je ne suis pas encore gâteux et n'aime pas trop qu'on fourre le nez dans mes affaires et toutes ces fausses sollicitudes depuis "comment ça va Maurice" jusqu'à "avec cette chaleur faut que tu fasses attention". Ça me fait vraiment chier. Heureusement j'ai Internet. Pas envie de sortir, pas envie de travailler, pas envie de lire, pas envie d'écrire. Je traîne d'un fauteuil à une chaise et d'une chaise à un fauteuil. Je n'ai envie de travailler que quand je fais un minimum de marche car bouger active mes neurones. Pourtant il faudra bien que je me décide. Mais aujourd'hui je n'ai rien fait. Paresse totale, traîné d'une pièce à l'autre, fouillé dans mes archives sous prétexte de rangement. En fait j'ai plutôt augmenté le désordre. Mais le désordre est créatif qui me ménage des découvertes ou des retrouvailles inattendues. Alors ? Faudrait-il que je laisse mes affaires "en ordre" comme disent les notaires ? Une petite sieste puis, traînant dans mes accumulations de livres, je suis tombé sur "Le don de Humbolt" de Saül Below. Sur la page de garde, j'ai indiqué que j'avais acheté ce livre à Melun (pourquoi à Melun, qu'est-ce que j'y faisais, je n’en ai plus aucun souvenir) le 7 juin 1966. Il y a 67 ans, j'en avais alors 44… J'ai commencé à le parcourir et… décidé aussitôt de le lire. Cette biographie d'écrivain m'a accroché dès les premières lignes. La tradition du roman est linéaire, celle de l’écriture classique relève d’un mécanisme fractal. Je devrais raconter ma vie étape à étape, ce que je fais et je devrais aussi écrire de façon à ce que tel événement rapporté à telle page ait des résonances dans l’écriture de telle ou telle autre. Ainsi le roman s’efforce d’introduire une certaine rationalité dans nos vies qui, pour l’essentiel, en sont dépourvues. Si un fait se produit après un autre c’est parce que nous vieillissons et que, pour nous, le temps est irréversible. Mais si on pouvait lire l'avenir comme un roman, serait-il encore intéressant de vivre ? Je devrais continuer à parler de l’épreuve que fut pour moi mon entrée au lycée mais je ne suis pas sûr que ce récit intéresse davantage d’hypothétiques lecteurs que l’état psychologique et physique dans lequel je suis aujourd’hui. Ma vie est en effet de peu d’importance et je peux m’effacer de la surface de cette planète sans y laisser la moindre trace. J’ai d’ailleurs, à partir du moment où j’ai décidé de m’éloigner de la scène publique, tout fait pour cela.
Pourtant je sais que, demain, après demain, un jour quelconque, je vais me remettre à l’ouvrage, non que je crois ma vie plus importante, même si dans la démonstration discrète de son récit, elle porte — comme pourrait dire la vulgate littéraire — des leçons susceptibles d’aider à vivre les générations futures. Pas assez de batailles, de crimes, d’incestes, de rapts, de viols d’enfants, pas assez d’abominable pour épicer l’incontournable banalité de leurs quotidiens à venir. Si je témoigne de quelque chose dans ces écrits, c’est de la difficulté de la conscience d’être. J’écris pour être, pour demeurer au moins, un peu, dans l’aventure du langage qui nous façonne et que nous façonnons. Continuer… continuer à produire un certain nombre de textes, chaque jour — jusqu’à la mort ? — Oui, jusqu’à la mort. Mais que m’apportent ces textes, sinon maintenir l’esprit en éveil dans l’inutilité du temps ? Quelle absurdité.
Pourtant je sais que, demain, après demain, un jour quelconque, je vais me remettre à l’ouvrage, non que je crois ma vie plus importante, même si dans la démonstration discrète de son récit, elle porte — comme pourrait dire la vulgate littéraire — des leçons susceptibles d’aider à vivre les générations futures. Pas assez de batailles, de crimes, d’incestes, de rapts, de viols d’enfants, pas assez d’abominable pour épicer l’incontournable banalité de leurs quotidiens à venir. Si je témoigne de quelque chose dans ces écrits, c’est de la difficulté de la conscience d’être. J’écris pour être, pour demeurer au moins, un peu, dans l’aventure du langage qui nous façonne et que nous façonnons. Continuer… continuer à produire un certain nombre de textes, chaque jour — jusqu’à la mort ? — Oui, jusqu’à la mort. Mais que m’apportent ces textes, sinon maintenir l’esprit en éveil dans l’inutilité du temps ? Quelle absurdité.
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