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Si j’accorde tant d’importances à ce berceau de bois tourné sombre qui fut le mien, à son col naïf de cygne au bec duquel s’accrochaient des voiles de mousseline, à la dentelle qui garnissait les bords de sa nacelle, c’est parce que, de cette époque, il reste le seul objet que j’ai eu l’occasion de voir durant toute mon enfance et même au-delà car, lorsque 28 ans plus tard, ma sœur eût son premier enfant, ce fut encore ce meuble qui servit de berceau, ainsi qu’ensuite aux trois autres enfants de sa famille et je ne pouvais, chaque fois que je le voyais, chaque fois paré différemment, que m’interroger sur le trou noir de ma petite enfance.
J’aurais tant aimé avoir conservé des sensations de mes premiers mois de vie : des odeurs, des sons, des goûts… Mais non, rien, une absence au monde. J’ai toujours été à la recherche de cette période aveugle de ma vie et si j’ai trouvé des traces de ce que je fus, j’en ai trouvé si peu. Plus tard, lorsque ma sœur eut des enfants, j’ai longuement observé ses nourrissons, essayant de percer dans les mouvements de leur visage, leurs gestes, les sensations qu’ils devaient éprouver pour, a posteriori, m’imaginer des souvenirs, et si ce n’est des souvenirs, des perceptions, même les plus ténues. Dans une malle encore fermée au fond de mon grenier sur des vêtements de nourrisson que j’ai peut-être portés, il y avait notamment un bonnet bordé de dentelle et un petit manteau à la capeline de même dentelle qui figurent sur deux des trois seules photos noir et blanc de cette période de mon enfance que je possède et dont l’attribution est indéniable car à leur dos, de sa belle écriture calligraphiée d’instituteur, reconnaissable entre toutes, toute en rondeur, pleins et déliés, mon père a écrit, « Maurice 3 juillet 1923 », « juin 1924, Maurice à dix huit mois » et « Maurice à Carmaux, Noël 1924 ».
Sur la première de ces photos (Maurice 3 juillet 1923), j’ai donc sept mois. Un gros bébé joufflu, bien potelé, ventre rebondi et plissé, assis, nu, sur un petit fauteuil formé de deux coussins, l’un horizontal, l’autre vertical dont on ne distingue bien ni forme ni matière. Le coussin horizontal est recouvert d’un tissu bordé de ce qui semble être de la dentelle ; le coussin vertical, dans la mesure où mon corps le laisse partiellement apercevoir, semble recouvert de ce qui pourrait être une housse faite au crochet. Mais rien de tout cela n’est sûr et personne, aujourd’hui, ne peut me le confirmer.
Ce poupon qui se tient assis semble déjà solide sur son siège, sa tête d’une rondeur ronde, joues pleines, soupçon de cheveux sur le milieu du crâne, petites oreilles, semble disproportionnée par rapport au buste. Sa bouche, plutôt petite, est entrouverte comme s’il était saisi par l’objectif en train de babiller. Ses yeux, ronds aussi, assez petits laissent percer un regard vif, curieux, peut-être attiré par l’objectif du photographe ou le rituel de la photographie. Attrait qui est encore souligné par le geste de la main droite en train de se tendre et de s’ouvrir vers quelque chose que la photo ne montre pas. La main gauche, un peu floue, certainement prise en mouvement, s’est glissée dans son entrejambe dissimulant le sexe. Les pieds aussi semblent en mouvement, les orteils surtout et davantage encore, parce que plus flou, ceux du pied gauche. Tout en lui montre plaisir de vivre et désir de découverte. Pourtant, aujourd’hui, rien de tout cela ne me reste. Rien non plus des moments heureux qu’il y a dû avoir avec mes parents. Rien. Un trou noir.
J’aurais tant aimé avoir conservé des sensations de mes premiers mois de vie : des odeurs, des sons, des goûts… Mais non, rien, une absence au monde. J’ai toujours été à la recherche de cette période aveugle de ma vie et si j’ai trouvé des traces de ce que je fus, j’en ai trouvé si peu. Plus tard, lorsque ma sœur eut des enfants, j’ai longuement observé ses nourrissons, essayant de percer dans les mouvements de leur visage, leurs gestes, les sensations qu’ils devaient éprouver pour, a posteriori, m’imaginer des souvenirs, et si ce n’est des souvenirs, des perceptions, même les plus ténues. Dans une malle encore fermée au fond de mon grenier sur des vêtements de nourrisson que j’ai peut-être portés, il y avait notamment un bonnet bordé de dentelle et un petit manteau à la capeline de même dentelle qui figurent sur deux des trois seules photos noir et blanc de cette période de mon enfance que je possède et dont l’attribution est indéniable car à leur dos, de sa belle écriture calligraphiée d’instituteur, reconnaissable entre toutes, toute en rondeur, pleins et déliés, mon père a écrit, « Maurice 3 juillet 1923 », « juin 1924, Maurice à dix huit mois » et « Maurice à Carmaux, Noël 1924 ».
Sur la première de ces photos (Maurice 3 juillet 1923), j’ai donc sept mois. Un gros bébé joufflu, bien potelé, ventre rebondi et plissé, assis, nu, sur un petit fauteuil formé de deux coussins, l’un horizontal, l’autre vertical dont on ne distingue bien ni forme ni matière. Le coussin horizontal est recouvert d’un tissu bordé de ce qui semble être de la dentelle ; le coussin vertical, dans la mesure où mon corps le laisse partiellement apercevoir, semble recouvert de ce qui pourrait être une housse faite au crochet. Mais rien de tout cela n’est sûr et personne, aujourd’hui, ne peut me le confirmer.
Ce poupon qui se tient assis semble déjà solide sur son siège, sa tête d’une rondeur ronde, joues pleines, soupçon de cheveux sur le milieu du crâne, petites oreilles, semble disproportionnée par rapport au buste. Sa bouche, plutôt petite, est entrouverte comme s’il était saisi par l’objectif en train de babiller. Ses yeux, ronds aussi, assez petits laissent percer un regard vif, curieux, peut-être attiré par l’objectif du photographe ou le rituel de la photographie. Attrait qui est encore souligné par le geste de la main droite en train de se tendre et de s’ouvrir vers quelque chose que la photo ne montre pas. La main gauche, un peu floue, certainement prise en mouvement, s’est glissée dans son entrejambe dissimulant le sexe. Les pieds aussi semblent en mouvement, les orteils surtout et davantage encore, parce que plus flou, ceux du pied gauche. Tout en lui montre plaisir de vivre et désir de découverte. Pourtant, aujourd’hui, rien de tout cela ne me reste. Rien non plus des moments heureux qu’il y a dû avoir avec mes parents. Rien. Un trou noir.
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