21
Je nais le 31 décembre 1922, ouvrant mes poumons, je pousse mon premier cri, à 22 heures 35 me dit plus tard mon père qui a toujours aimé la précision. Mais faire débuter ma vie à cette date ne me convient pas vraiment. J’entendais déjà, dans le ventre de ma mère, les chansons populaires que mon père mettait sur son gramophone. J’entendais celles que ma mère chantait seule lorsqu’il était en classe au rez-de-chaussée de notre petite maison de granit. J’entendais encore celles que, parfois, dans les longues soirées d’hiver, lorsqu’il avait fini de préparer sa classe ou de corriger le travail de ses élèves, ils chantaient en chœur en écoutant les disques. Car pour le reste, mises à part leurs discussions du soir, nous étions dans un monde de silence et ce ne sont pas les chants des oiseaux, qui avaient du mal à traverser les lourdes fenêtres, qui pouvaient m’atteindre. Les sons étaient ainsi déjà construits avant ma naissance et je distinguais les enchaînements agréables — dont j’apprendrais plus tard que c’étaient des chansons — des bruits accidentels, la brutalité et l’inattendu de certains m’amenant même à hurler. Mon univers fut longtemps un univers musical aussi suis-je extrêmement sensibles aux bruits et aux sons dont mon enfance fut saturée. Mais là-dessus je reviendrai en temps utiles. Malgré tout cela, Mon père ignorait bien sûr, parce qu’il n’y en avait alors aucun enregistrement que j’étais né l’année de la Symphonie n° 2 d’Albert Roussel, compositeur majeur dont je ne suis pas sûr qu’il ait même connu l’existence. Ce samedi fut d’ailleurs remarquable car, mis à part leur mariage, il semble qu’il ne se soit rien passé dans le monde. La vie suivait des routines sans importance.
Lorsque je naquis en cette fin de soirée du 31 décembre 1922, d’abord je ne vis rien bien sûr ou alors que très peu de choses : un théâtre d’ombres floues tournant autour de moi et dans lequel je ne distinguai rien de remarquable si ce n’est leur mouvement. Puis, peu à peu, une ou deux de ces ombres me parurent particulières : je m’ouvrais au monde. Mais ce monde visible était alors si peu de choses. Au-dessus de ce que j’appris plus tard être mon berceau, un plafond de planches mal jointes d’où, parfois, tombait un peu de poussière et deux êtres, par alternances, qui me devinrent peu à peu familiers. Plus exactement peu à peu émergea du brouillard où je me trouvais une surface vaguement grise, presque uniforme avec de ci de là des tâches plus brunes et des rayures noires mais je ne savais alors ni ce qu’était un plafond, ni ce qu’étaient des planches ni même ce que pouvait être une couleur, pas davantage le gris que le noir. Il fallut beaucoup de temps pour que tout cela se construisit dans mon cerveau encore informe. Il paraît que je distinguais d’abord le visage de ma mère. Il est vrai qu’elle m’allaitait et que son approche m’était des plus importantes. C’est d’ailleurs à elle que je réservai ce qu’elle appela « mon premier sourire », révélant à mon père l’annonce de cet événement avec une intonation de joie dans la voix. Puis j’appris, assez vite, à reconnaître mon père dont les bras me prenaient de temps en temps avec une force plus soutenue mais qui ne me nourrissait pas.
Pendant près d’un an, j’ai ainsi passé l’essentiel de ma vie dans un berceau. Et si je ne me souviens pas de cette période pendant laquelle, paraît-il, j’ai appris à babiller, gazouiller, pépier, piailler et sourire, je revois ce berceau comme si j’y dormais encore car, s’il fut le mien, si j’eus l’honneur de l’étrenner, il fut aussi ensuite celui d’Andrée, ma sœur, née deux ans après moi et de Robert, mon frère, qui attendit cinq ans avant de venir au monde.
Lorsque je naquis en cette fin de soirée du 31 décembre 1922, d’abord je ne vis rien bien sûr ou alors que très peu de choses : un théâtre d’ombres floues tournant autour de moi et dans lequel je ne distinguai rien de remarquable si ce n’est leur mouvement. Puis, peu à peu, une ou deux de ces ombres me parurent particulières : je m’ouvrais au monde. Mais ce monde visible était alors si peu de choses. Au-dessus de ce que j’appris plus tard être mon berceau, un plafond de planches mal jointes d’où, parfois, tombait un peu de poussière et deux êtres, par alternances, qui me devinrent peu à peu familiers. Plus exactement peu à peu émergea du brouillard où je me trouvais une surface vaguement grise, presque uniforme avec de ci de là des tâches plus brunes et des rayures noires mais je ne savais alors ni ce qu’était un plafond, ni ce qu’étaient des planches ni même ce que pouvait être une couleur, pas davantage le gris que le noir. Il fallut beaucoup de temps pour que tout cela se construisit dans mon cerveau encore informe. Il paraît que je distinguais d’abord le visage de ma mère. Il est vrai qu’elle m’allaitait et que son approche m’était des plus importantes. C’est d’ailleurs à elle que je réservai ce qu’elle appela « mon premier sourire », révélant à mon père l’annonce de cet événement avec une intonation de joie dans la voix. Puis j’appris, assez vite, à reconnaître mon père dont les bras me prenaient de temps en temps avec une force plus soutenue mais qui ne me nourrissait pas.
Pendant près d’un an, j’ai ainsi passé l’essentiel de ma vie dans un berceau. Et si je ne me souviens pas de cette période pendant laquelle, paraît-il, j’ai appris à babiller, gazouiller, pépier, piailler et sourire, je revois ce berceau comme si j’y dormais encore car, s’il fut le mien, si j’eus l’honneur de l’étrenner, il fut aussi ensuite celui d’Andrée, ma sœur, née deux ans après moi et de Robert, mon frère, qui attendit cinq ans avant de venir au monde.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire