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L’enfance s’efface lentement dans l’apprentissage de la vie.
Chaque seconde de notre vie d’enfant avait ses découvertes qui nous faisaient lentement devenir hommes et femmes. Outre des connaissances pratiques sur les réalités du monde, faisant entre tout la part des choses, nous apprenions lentement la joie et la tristesse, le bonheur et la souffrance, le désir et l’impuissance, l’âpreté et la générosité, la certitude et le danger… Au printemps nous découvrions la générosité folle de la nature et la copulation des grenouilles ; en été c’était la volupté de l’eau des ruisseaux et la violence des orages ; à l’automne c’était l’abondance des fruits, des champignons et le danger mortel que certains représentaient ; en hiver, la beauté des paysages enneigés et la traîtrise mortelle des tourmentes.
Guidés par les plus grands d’entre nous, nous apprenions lentement à maîtriser la nature. Peu à peu, elle n’avait plus de secrets pour nous : entre les insectes, les fleurs, les champignons, les plantes que mon père demandait aux élèves de la classe de réunir pour leur apprendre à les reconnaître, leur en raconter les bienfaits mais aussi les dangers, les jeux, parfois cruels qui nous faisaient réaliser des cages à mouche dans des bouchons évidés fermés par un grillage d’épingles, attacher un fil à la patte des hannetons pour écouter, de longues minutes, le vrombissement de leur vol ou jouer avec la terreur des souris capturées dans telle ou telle grange, et la gourmandise qui nous amenait à attraper ou cueillit tout ce qui pouvait se manger, entre tout ça, la nature devenait lentement notre jardin et nous nous en sentions propriétaires.
Nous avions tous les droits et rien ne nous effrayait. Nous apprenions vite à construire des pièges variés, depuis les tendelles à grives jusqu’aux collets pour lapins en passant par les bouteilles à vairons et nous savions attirer les poissons par de la mie de main, les écrevisses par de la viande avariée ou des têtes de moutons, les grives par des graines de genévriers. Peu à peu, nous nous exercions, parfois à l’école, mais le plus souvent en dehors à capturer pour les dresser ou les apprivoiser, les pies, les rossignols, les merles, les écureuils, les belettes ou les fouines. Les êtres infiniment variés de la nature nous appartenaient, des escargots aux tritons fragiles aux renards voleurs de poule en passant par les scarabées et les pies : nous apprenions à gérer le monde comme une vaste propriété commune dont chacun de nous était le possesseur. Chacun de ces animaux était alors assigné à un rôle utilitaire précis, les uns faisaient partie de nos aliments, d’autres des préparations médicinales de nos rebouteux, d’autres de nos jeux ; certains enfin ne valaient que pour leur peau. Ces rôles utilitaires nous interdisaient tout sentimentalisme : couper la tête à une poule ou dépouiller un lapin était pour nous aussi naturel et évident que se lever tous les matins ou manger trois fois par jour. Nul sentimentalisme envers la nature, elle était là pour nous et nous vivions en elle qui nous constituait : chacun de ses éléments présentait un éventail d’utilités qui délimitaient précisément ses raisons d’être.
Un de nos jeux, dont le rôle d’initiation à l’adolescence était important, était ainsi de capturer des vipères vivantes. Les psychanalystes d’aujourd’hui y verraient certainement une symbolique sexuelle mais nous avions de nombreux autres moyens d’exprimer notre sexualité aussi la capture des vipères était elle bien davantage une façon de prouver le courage et la maîtrise de soi, même si elle était l’apanage des plus grands.
Chaque seconde de notre vie d’enfant avait ses découvertes qui nous faisaient lentement devenir hommes et femmes. Outre des connaissances pratiques sur les réalités du monde, faisant entre tout la part des choses, nous apprenions lentement la joie et la tristesse, le bonheur et la souffrance, le désir et l’impuissance, l’âpreté et la générosité, la certitude et le danger… Au printemps nous découvrions la générosité folle de la nature et la copulation des grenouilles ; en été c’était la volupté de l’eau des ruisseaux et la violence des orages ; à l’automne c’était l’abondance des fruits, des champignons et le danger mortel que certains représentaient ; en hiver, la beauté des paysages enneigés et la traîtrise mortelle des tourmentes.
Guidés par les plus grands d’entre nous, nous apprenions lentement à maîtriser la nature. Peu à peu, elle n’avait plus de secrets pour nous : entre les insectes, les fleurs, les champignons, les plantes que mon père demandait aux élèves de la classe de réunir pour leur apprendre à les reconnaître, leur en raconter les bienfaits mais aussi les dangers, les jeux, parfois cruels qui nous faisaient réaliser des cages à mouche dans des bouchons évidés fermés par un grillage d’épingles, attacher un fil à la patte des hannetons pour écouter, de longues minutes, le vrombissement de leur vol ou jouer avec la terreur des souris capturées dans telle ou telle grange, et la gourmandise qui nous amenait à attraper ou cueillit tout ce qui pouvait se manger, entre tout ça, la nature devenait lentement notre jardin et nous nous en sentions propriétaires.
Nous avions tous les droits et rien ne nous effrayait. Nous apprenions vite à construire des pièges variés, depuis les tendelles à grives jusqu’aux collets pour lapins en passant par les bouteilles à vairons et nous savions attirer les poissons par de la mie de main, les écrevisses par de la viande avariée ou des têtes de moutons, les grives par des graines de genévriers. Peu à peu, nous nous exercions, parfois à l’école, mais le plus souvent en dehors à capturer pour les dresser ou les apprivoiser, les pies, les rossignols, les merles, les écureuils, les belettes ou les fouines. Les êtres infiniment variés de la nature nous appartenaient, des escargots aux tritons fragiles aux renards voleurs de poule en passant par les scarabées et les pies : nous apprenions à gérer le monde comme une vaste propriété commune dont chacun de nous était le possesseur. Chacun de ces animaux était alors assigné à un rôle utilitaire précis, les uns faisaient partie de nos aliments, d’autres des préparations médicinales de nos rebouteux, d’autres de nos jeux ; certains enfin ne valaient que pour leur peau. Ces rôles utilitaires nous interdisaient tout sentimentalisme : couper la tête à une poule ou dépouiller un lapin était pour nous aussi naturel et évident que se lever tous les matins ou manger trois fois par jour. Nul sentimentalisme envers la nature, elle était là pour nous et nous vivions en elle qui nous constituait : chacun de ses éléments présentait un éventail d’utilités qui délimitaient précisément ses raisons d’être.
Un de nos jeux, dont le rôle d’initiation à l’adolescence était important, était ainsi de capturer des vipères vivantes. Les psychanalystes d’aujourd’hui y verraient certainement une symbolique sexuelle mais nous avions de nombreux autres moyens d’exprimer notre sexualité aussi la capture des vipères était elle bien davantage une façon de prouver le courage et la maîtrise de soi, même si elle était l’apanage des plus grands.
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